LA SOCIÉTÉ ROMAINE ET LA CRISE DE LA RÉPUBLIQUE
La crise qui menaçait la société romaine en raison du changement de structures atteignit après le milieu du 2ème siècle avant JC une phase au cours de laquelle il n'était plus possible d'éviter l'éclatement de conflits ouverts. L'aggravation des oppositions au sein du tissu social de Rome et les faiblesses du système de gouvernement républicain eurent pour conséquence que les luttes sociales et politiques s'enflammèrent soudain. L'histoire de 135 à 30 av JC est assombrie par des conflits sanglants conduits avec passion et brutalité. En conséquence cette période est généralement désignée comme une période révolutionnaire. Que le terme de révolution ne puisse être appliqué dans le même sens que celui que nous avons aujourd'hui est tout à fait évident puisque les mouvements sociaux et politiques de la fin de la République n'avaient ni tenté, ni réalisé un changement violent du système social existant. De plus ces mouvements furent si divers quant à leurs causes, leurs protagonistes, leur déroulement et leur influence qu'on ne peut les ranger que de manière très limitée sous un seul concept. Pour éviter un malentendu sur le concept de révolution il est préférable de parler de la crise politique et sociale de la République. Cette crise se manifesta surtout dans des conflits ouverts, qui se développèrent dans un concours de violence.
La nature hétérogène de ces conflits se révèle dans la typologie et dans le changement de leur caractère général au cours des cent dernières années de la République romaine. On peut répartir les conflits ouverts de cette époque en quatre types généraux : les guerres serviles, les soulèvements des provinciaux contre la domination romaine et les luttes des italiens contre Rome. Dans les guerres serviles les deux fronts sociaux qui se trouvaient face à face étaient clairement définis (esclaves ruraux contre propriétaires d'esclaves et État). Les révoltes des provinciaux et des italiens sauraient être considérées comme plus ou moins homogène puisqu'elles étaient conduites par des groupes très mêlés du point de vue social et que leur objectif n'était pas d'arracher la liberté mais de libérer de l'oppression de Rome des communautés, des Etats ou des peuples qui avaient été autrefois libres. Mais elles ne manquaient pas d'un caractère social car c'était le plus souvent les couches inférieures de la population qui opposaient une résistance vive à Rome. Enfin les luttes qui se jouaient, parmi les citoyens romains, entre différents groupes d'intérêts relèvent du quatrième type de conflits qui est le plus intéressant. A l'époque des Gracques les motifs sociaux étaient les plus importants et la préoccupation centrale des réformateurs et de leurs partisans n'en étaient pas moins que la recherche de la solution des problèmes sociaux des masses prolétarienne de Rome malgré l'opposition de l'autre camp (Oligarchie). Dans la terminologie romaine ces deux groupes sont les Populares et les Optimates. De toute manière ces conflits étaient dès le départ politique et ils se déroulèrent dans l'assemblée du peuple. Dans ces conflits il fut dès le début question du pouvoir politique dans l'État. Les fronts sociaux n'y étaient pas parfaitement définis et l'hétérogénéité des groupements unis dans la lutte s'accrut avec le temps. De plus le contenu social du conflit entre les Optimates et le parti populaire fut repoussé de plus en plus à l'arrière plan, tandis que le problème du pouvoir politique progressa d'étapes en étapes jusqu'à qu'il n'y ait plus qu'une lutte pour l'hégémonie des divers groupes. (Depuis la lutte Marius et Sylla)
A cela s'ajoute à partir de –70 l'apaisement des autres conflits. Les Italiens dans la guerre sociale de 91-89 avaient atteint leur but, l'obtention de la citoyenneté romaine. En Grèce et en Asie mineure Sylla avait battu Mithridate en 85 et la fin de la révolte de Spartacus en 71 avait mit fin aux grandes révoltes serviles. Pendant 40 ans il ne fut plus question que de pouvoir au sénat et la conséquence des conflits ne fut donc pas un changement dans la structure de la société mais bien un changement de la forme de l'État dont elle était le support.
Les révoltes d'esclaves de la fin de la République méritent une attention spéciale principalement parce qu'au cours de toute l'histoire antique, les oppositions entre les non libres et leurs maîtres ne s'exprimèrent jamais aussi bien que dans les grands mouvements serviles du dernier tiers du 2ème siècle et du premier siècle et se terminèrent avec le soulèvement de Spartacus. Ils survinrent tout à fait à l'improviste dans la société romaine. Ce n'est certes pas un hasard si ces grandes révoltes se déroulèrent dans un bref laps de temps (135-71 av JC). Elles résultaient du développement de l'esclavage romain depuis la deuxième guerre punique. L'importance de l'esclavage pour l'économie romaine et le nombre des esclaves s'accrurent fortement en un temps fort bref. Les masses serviles, qui, surtout grâce aux guerres, au commerce et à la piraterie, pouvaient se reconstituer sans difficulté par l'arrivée de nouveaux esclaves, furent exploitées avec beaucoup de brutalité, surtout dans les domaines ruraux, ce qui conduisit à les exaspérer. C'est aussi à ce moment là que les meilleures conditions aux révoltes furent réunies et les conséquences ne pouvaient se faire attendre (esclaves intelligents du monde hellénistique...). Mais elles ne pouvaient pas conduire à un mouvement révolutionnaire unique car en premier lieu, il n'y avait d'idéologie révolutionnaire commune. De plus les possibilités de communication entre les esclaves de diverses parties du monde romains étaient très limitées. En outre les intérêts et les objectifs des divers groupes d'esclaves étaient souvent divergeant et certains esclaves des villes voulaient obtenir l'affranchissement de façon régulière et pas par la révolte. Ce qui put donc éclater, ce furent des révoltes d'esclaves très isolées les unes des autres dans le temps et dans l'espace.
La première guerre servile éclata en Sicile en 135-132 av JC et prit son origine dans d'assez petits groupes d'esclaves maltraités comme des bergers armés. Un coup de main leur permit de prendre la ville d'Enna et leur chef fut Eunus. Après le ralliement du Cilicien Cléon les esclaves étaient 200.000. Ils obtinrent d'abord des résultats considérables et ne purent être brisés qu'après une longue guerre. Ce soulèvement trouva même des échos à Rome et dans les mines du Laurion en Attique. Peu de temps après en Asie mineure éclata la révolte d'Aristonicos (133-129) qui revendiquait le pouvoir sur Pergame. Comme les villes restaient fidèles à Rome il rallia les campagnes et ne put être vaincu qu'après une guerre longue et sanglante.
La vague suivante survint deux décennies et demie plus tard. D'abord les troubles éclatèrent parmi les esclaves en Italie du sud, à Nucérie et à Capoue et une autre car un chevalier romain Titus Vettius avait armé ses esclaves contre ses créanciers. Cette dernière affaire qui en vint finalement à une histoire d'amour entre le chevalier et une esclave, témoigne de la légèreté des maîtres d'esclaves. Immédiatement après ces révoltes le second grand soulèvement servile se produisit en Sicile (104-101). L'occasion qui lui donna naissance est typique de l'attitude des domini romains. Dans la crise de politique extérieure que constituait la guerre contre les Cimbres, le sénat décida que les citoyens des États alliés de Rome qui avaient été réduits en esclavage devaient être libérés. Mais les propriétaires d'esclaves sabotèrent cette décision. C'est ainsi qu'éclata une nouvelle révolte servile. Le soulèvement parti de nouveaux de deux groupes d'esclaves : ceux de Syrien Salvius et ceux de Cilicien Athénion. Le premier fut choisit en qualité de roi. Quand le nombre de ces partisans atteignit les 30.000, il fallut de nouveau une guerre difficile pour que les romains redevinrent maître de la sicile.
Le soulèvement servile le plus dangereux pour Rome fut celui de Spartacus (74-71). Ce mouvement tire son origine d'une conjuration de gladiateurs à Capoue. Ces derniers n'avaient aucune difficultés à communiquer entre eux et ils avaient facilement accès aux armes. Après les succès du début, le nombre de partisans s'éleva à 120.000 hommes. Leur résistance ne put être brisée qu'après une assez longue guerre aux péripéties mouvementées. Rome dut engager contre les esclaves huit légions.
Bien qu'ils diffèrent les uns des autres à de nombreux points il y a une série de traits communs qui reflètent la nature des conflits. Les mouvements prirent naissance dans d'assez petits groupes d'esclaves et après les premiers succès ces révoltes grandissaient pour devenir des mouvements de masse. La masse de base était surtout formée d'esclaves ruraux c'est à dire des esclaves qui avaient été particulièrement maltraités. Des groupes de la population paysanne pauvre se joignaient aux rebelles. Tout au contraire les villes ont eut une attitude hostile vis-à-vis de ces révoltes. Mais, même sans cet appui, les masses en révolte pouvaient atteindre des résultats considérables. Ils s'organisaient rapidement sous leurs propres chefs, dont l'autorité, était unanimement reconnue. Au moins en Sicile et à Pergame ils ambitionnèrent d'installer un État Hellénistique. Mais rien ne leur était plus étranger qu'un changement radical du système social ancien. Leur objectif était soit le renversement du système existant, soit le départ de l'Italie vers la Gaule dont beaucoup d'esclaves étaient originaires (Spartacus). Les rebelles ne supprimaient donc pas l'institution de l'esclavage. Ne fut ce donc pas pour cette raison que ces mouvements n'étaient pas de nature à changer la texture de la société romaine ? Le combat était héroïque et recueillit l'approbation de romains de rangs élevés, mais son destin était scellé dès le début.
Les conséquences n'eurent rien de décisif dans l'histoire ultérieure de Rome. La principale conséquence des soulèvements servile fut que le traitement brutal et l'exploitation inconsidérée des non libres était une forme inefficace d'économie esclavagiste. Après la révolte de Spartacus les conditions des esclaves commença à s'améliorer et cela se voit dans le fait qu'ensuite pendant les 40 ans où Rome fut secoué il n'y eut pas de révolte servile. De nombreux esclaves étaient disposés à se joindre à des hommes politiques qui leur promettaient la liberté et le bien-être Pourtant ces conflits n'avaient pas pour but de soulager la détresse des esclaves mais de régler des questions politiques.
Des conséquences partiellement semblables résultèrent des heurts entre la population opprimée des provinces et les profiteurs de la domination romaine. Comme le montre l'insurrection d'Aristonicos, un soulèvement de provinciaux pouvait se combiner avec une révolte servile (insurrection des couches les plus pauvres de la population paysanne de l'ouest de l'Asie mineure). Il est significatif que cette révolte éclata à un moment où Rome venait de commencer à établir son autorité en Asie mineure occidentale. 40 ans après un autre mouvement agita cette région mais il ne peut naître qu'avec l'aide du roi du Pont. Cette révolte s'étendit à Athènes et elle avait pour principaux partisans les membres inférieurs des couches sociales de la population libre (-88) et leur haine visait les hommes d'affaires. Sans doute ce genre de mouvement ne provoqua aucun changement structurel du système social romain car ils voulaient seulement détruire la domination romaine. D'ailleurs ils échouèrent autant que les soulèvements serviles. La conséquence à long terme de tels conflits fut qu'ils contribuèrent à un adoucissement progressif de l'oppression brutale à laquelle étaient soumises les provinces et introduit l'idée que les couches supérieures locales loyales à Rome pouvaient être intégrées par l'octroi du droit de cité.
A coté des arrières plans politique, il y en avait aussi de sociaux dans un conflit qui aurait put devenir dangereux pour Rome, le soulèvement des socii Italiens. A partir du moment où les alliés de Rome furent en masse croissante et qu'ils étaient maltraités les tensions entre Romains et Italiens augmentèrent. Ce phénomène se manifesta depuis le milieu du 2ème siècle av JC. Par ailleurs les couches inférieures des socii souffraient autant de l'oppression politique que de la détresse économique. Les tensions croissantes provoquèrent dès -125 une révolte qui éclata à Frégelles. Depuis lors le problème des italiens fut toujours présent dans l'affrontement politique entre les Optimates et le parti populaire à Rome. La tension se résolut dans un grand soulèvement des italiens alliés de Rome (Bellum sociale) qui de 91 à 89, transforma presque toute l'Italie en un théâtre d'opérations.
Le soulèvement ne fut pas un mouvement visant à un bouleversement social mais visant à l'obtention du droit de cité qui venait en premier lieu. Mais pour les masses de la population italienne il y allait aussi de la solution des problèmes sociaux. Ce qui est significatif c'est le comportement des rebelles contre les vaincus dans les colonies romaines. Les principaux romains furent tués et les esclaves furent enrôlés dans les armées rebelles. Rome réussit finalement à abattre la rébellion, mais seulement après que le droit de cité eut été étendu en 90 par la lex. Iulia, à tous ceux qui étaient restés fidèles à Rome et en 89 avec la lex. Papiria, aux rebelles qui se rendaient. Les rebelles avaient atteint leur but. L'ordre social existant fut renforcé par le fait que les membres des couches supérieures italiennes devinrent des bénéficiaires légitimes du système de la domination romaine. Les nouveaux citoyens romains qui désormais appartenaient à l'assemblée du peuple furent défavorisés car ils ne purent s'inscrire que dans huit tribus et que les oligarchiques en tuèrent un grand nombre. En 49 la population de l'Italie du nord a aussi reçut la droit de cité.
Les conflits les plus importants de la société romaine à la fin de la République naquirent entre les groupements politiques des citoyens romains et allèrent du mouvement des Gracques aux guerres civiles de la République finissante. Appien insiste nettement sur le fait que leur âpreté durant les cents dernières années de la République augmenta petit à petit. Ils commencèrent avec le meurtre de Tiberius Sempronius Gracchus qui ouvrit la série des heurts armés qui dégénérèrent ensuite en guerres civiles régulières et qui finalement se terminèrent par la naissance de la monarchie. Ces conflits armés montrent une série de traits structurels communs qui sont très instructifs : le déclenchement, la formation des fronts opposés, l'origine et le rôle des chefs des masses participantes, le programme qu'ils défendirent et, la manière dont les conflits se réglèrent, les réactions qu'ils suscitèrent et en effet des divers conflits ont de nombreux éléments qui se répètent, reflétant très clairement les problèmes, les relations de puissance et les possibilités futures de la société romaine. On voit aussi combien dans ces conflits le contenu social fut toujours plus réduit, repoussé à l'arrière plan par le contenu politique.
Les causes des heurts au sein de la masse des citoyens romains résidaient dans le changement de structure qui y faisait naître de nouvelles tensions, depuis Hannibal. Sans doute, la nature de ces tensions était plus compliquée que les conflits entre maîtres et esclaves, entre romains et italiens, entre romains et provinciaux. Il s'agissait de tensions au sein de l'aristocratie sénatoriale, principalement entre les divers groupes de la nobilitas dominante , appuyés par de larges masses de clients, puis de tensions entre la noblesse sénatoriale et l'ordre nouvellement formé des chevaliers qui comptait en ses rangs de riches hommes d'affaires et d'importants fermiers des affaires publiques, puis entre les dirigeants de l'État romains et les masses prolétaire parquées à Rome. Il est significatif que cette tentative commença là où elle paraissait le plus nécessaire dans l'intérêt de l'État aristocratique : le problème agraire puisque l'appauvrissement de nombreux paysans mettait en danger la continuation du recrutement de l'armée et le maintien de l'autorité romaine et que le danger politique le plus évident résidait dans le mécontentement des masses prolétariennes qui affluaient vers Rome et entraient librement dans l'assemblée du peuple. Mais il est clair que le problème agraire ne peut se résoudre par une réforme pacifique.
Le premier conflit éclata en 133 av JC. Conduit par le souci que lui causait le nécessaire recrutement de l'armée romaine le tribun de la plèbe Tiberius Sempronius Gracchus obtint de l'assemblée du peuple, malgré l'opposition du sénat, le vote d'une loi agraire qui visait à la restauration de la paysannerie romaine. Par le recours à l'ancienne loi Licinienne, il fut prévu que personne ne pourrait disposer, sur l'ager publicus, d'un domaine supérieur à 500 arpents (1000 pour les grosses familles), mais que ces domaines entreraient dans le patrimoine de l'occupant du moment. Les terrains récupérés devraient être divisés en fonds de 30 arpents et diviser entre les paysans pauvres mais qui resteraient propriété de l'Etat et que les grands propriétaires ne pourraient acheter. La réforme devait être réalisé par une commission de trois membres, formée par le tribun son père et son frère Caius. Au cours des années suivantes de nombreux paysans furent pourvus de terrains mais l'opposition des riches fut plus vive que ce que l'on s'attendait. Tiberius tenta pour éviter une plainte de se faire réélire tribuns mais ses opposants organisèrent une bataille de masse et Tiberius fut tué. Une nouvelle commission put continuer le travail jusqu'en 129 mais le vrai but de la réforme ne fut pas atteinte. L'échec de ce premier essai de réforme radicale n'a pas pu empêcher la répétition de tentatives analogue et tout au contraire c'est un modèle qui fut ainsi créé pour les mouvements réformistes ultérieurs. Les images de Tiberius et de son frère devinrent pour les pauvres le symbole d'une politique populaire favorable au peuple et ouverte aux réformes. Dans les décennies suivantes, il y eut périodiquement des processus semblables, toujours interrompues par des périodes de restauration oligarchique jusqu'aux moment où cela déboucha sur les guerres civiles.
En 123 commença le tribunat de la plèbe de Caius. Il avait un programme de réformes beaucoup plus large que son frère. Il se manifesta par pas moins de 17 lois nouvelles. Pour se protéger et protéger ses partisans contre les actes de violence des magistrats oligarchiques, il fit voter une loi en vertu de laquelle un citoyen romain ne pouvait être condamné à mort que par le peuple. Pour augmenter ses partisans il fit renouveler la ferme des impôts des publicani d'ordre équestre dans la province d'Asie et il confia aux chevaliers la mission de déférer à la justice les enquêtes sur le cas d'abus de pouvoir dont se rendaient coupable les sénateurs. Ce fut une réforme lourde de conséquences, car elle signifiait la polarisation de l'ordre équestre et sa participation au conflit. Ses mesures pour l'amélioration du réseau routier et l'instauration de magasins de blé contribuèrent à un meilleur approvisionnement de la plèbe de la ville de Rome. Mais moins efficace fut le point central de sa politique de réforme, c'est à dire l'assurance de l'existence économique des paysans par la protection de leurs parcelle contre l'achat par les riches.
Après la mort de Caius deux décennies se passèrent sans que rien ne se passa et avant que le conflit de 104-100 éclata où Caius Marius, fut consul sans interruption. Ce n'est pas lui qui fut le véritable chef des réformateurs mais plutôt Saturninus, tribun de la plèbe de 103 à 100. Le programme des réformateurs était à plusieurs point de vue celui des Gracques, dont le parti Populaire prenait la suite. Les thèmes populaires de la politique restaient la solution de la question agraire ainsi que les distribution de blé aux pauvres et la mesure en faveur des alliés italiens. Ce qui fut nouveau, ce fut la parti centrale de la question agraire. Le problème fut surtout de pourvoir de terres les vétérans de Marius par la colonisation des provinces. Ce qui fut nouveau, ce fut que désormais, le parti populaire en vint dès le départ à la démagogie et à la terreur ce qui poussa les chevaliers avec les sénateurs. C'est alors que l'État d'urgence fut proclamé et Marius dut le suivre contre son propre parti. Le meurtre de Saturninus et de ses partisans se révèle comme le dernier acte d'une série de scènes de violence répétées.
Cela ne montra pas encore à ce moment la portée des mesures les plus importantes de Marius, c'est à dire la réforme de l'armée. Alors que jusqu'à maintenant l'armée romaine se recrutait parmi les possédants, c'est à dire les paysans qui possédaient leurs champs et qui devaient assurer eux même leur équipement, Marius en vint à compléter les effectifs avec les prolétaires qui ne possédaient rien et que l'État équipait. Ce mode de recrutement n'était pas tout à fait nouveau. Il n'en est pas moins vrai que cette réforme, à la suite de laquelle de nombreux citoyens non possédants affluèrent dans l'armée, eut des conséquences sur la fin de la République. Le nouveau mode de recrutement réveilla la question agraire, puisque l'objectif principal des nouveaux soldats étaient être payés en terre après leur service militaire. Par ailleurs des relations très étroites se nouèrent entre les hommes politiques qui commandaient les armées et les soldats. Les dirigeants politiques reçurent ainsi un instrument aussi puissant que loyal à leur égard, dont l'intervention contre des adversaires en politique intérieur signifiait la guerre civile. Ce passage à un conflit à l'intérieur du corps des citoyens romains se révéla clairement avec Drusus qui tenta une solution au brûlant problème. Ce qui montre que ce problème s'est compliqué c'est l'étendu du programme de Drusus qui concernait toutes les couches sociales qui participaient au conflit. Aux alliés italiens il promettait la citoyenneté, aux prolétaires la solution de la question agraire. Il ne faut pas s'étonner que Drusus ait été, comme les réformateurs politiques antérieurs, victime de la réaction. La situation après son assassinat fut tout à fait neuve dans la mesure où la chute de cet homme politique fut suivie d'une opposition permanente entre les groupes d'intérêts opposés. La guerre sociale, qui dura de 91 à 89 fut déclenché par la chute de Drusus, c' était une guerre dans laquelle les optimates et le parti populaire furent contraints de défendre en commun les intérêts dominants du système politique romain. Mais peu de temps après commença la guerre entre les deux partis.
Le parti populaire se groupa autour de Publius Sulpicius Rufus et de Cornelius Cinna. Les optimates mirent à leur tête Sylla. Ce qui fut déterminant ce sont les armées qui soutenaient les divers groupes politiques. Marius pouvaient mobiliser bon nombre de ses anciens soldats et Sylla s'appuyait sur les troupes dont on lui avait confié le commandement lors de la guerre contre Mithridate. De l'atroce guerre civile où les troupes des deux armées occupèrent Rome, les optimates sortirent vainqueur. Leur réaction furent cette fois différente de ce qu'elles avaient été dans les phases antérieures du conflit. Sylla permit l'exécution en masse de ces opposants et il prit comme dictateur les pleins pouvoirs dans l'Etat romain, pour affermir le régime oligarchique par ses réformes radicales. Ses lois visaient au rétablissement du pouvoir sénatorial et le sénat fut complété par 300 hommes nouveaux pris dans l'ordre équestre. La puissance des tribuns de la plèbe fut considérablement réduite et les cours de jurées furent retirées aux chevaliers et devinrent juridiction du sénat. Enfin pour empêcher la formation d'une puissance militaire en Italie, les commandements d'armées ne furent plus confiés aux consuls. Mais ces réformes signifiaient aussi que plusieurs éléments fondamentaux de la République aristocratique avaient été éliminés, et le pouvoir de Sylla représentait en fait le premier pas décisif de l'État romain dans la direction de la Monarchie. Le régime de Sylla s'est maintenu pendant près d'une décennie après la retraite
Mais ce système, qui voulait sauver la position dominante d'une oligarchie ébranlée ne pouvait durer. De nombreux problèmes restaient sans solution. Dès la guerre civile entre Marius et Sylla, l'unique possibilité de solution se dessinait, c'est à dire le pouvoir monarchique de chefs de groupements politiques ayant leur propre armée. Quand en 70 les réformes de Sylla en faveur du sénat furent annulées par l'abolition des restrictions au tribunat de la plèbe, il ne pouvait plus être question d'un retour à l'ancienne République. L'avenir appartenait à ces puissants hommes politiques et chefs militaires à l'élévation desquels la réforme de l'armée de Marius avait ouvert la voie. Les quarante dernières années de la République se perdirent dans les symptômes d'une lutte qui allait décider si la République oligarchique pouvait encore être sauvée ou si il fallait la changer en monarchie. Après Sylla deux hommes eurent une ascension fulgurante : l'un était Pompée qui dominait grâce à ses victoires en Orient et l'autre Caesar qui gagna ses lauriers lors des campagnes qui menèrent à la soumission de la Gaule (58). La guerre civile entre ces deux rivaux était encore une lutte pour la forme de l'État dans la mesure où Pompée s'était rangé du coté du sénat. La dictature du sénat signifiait déjà la victoire manifeste de la monarchie République. Cette victoire ne put être annulée même pas avec l'assassinat de César. Après la défaite des meurtriers de César, derniers défenseurs du système oligarchique, la République périt définitivement en 42 av JC. Après l'élimination de figures secondaires il ne resta comme seul vainqueur après la bataille d'actium (31) que le futur Auguste.
Les traits communs des conflits du groupe de citoyens romains depuis Tiberius jusqu'à Actium sont aussi remarquables que les différences croissantes qui font voir que le contenu de la crise passa d'un domaine principalement social à un domaine exclusivement politique. Il est notable que les conflits entre les divers groupes d'intérêts du corps des citoyens éclatèrent lors de circonstances dans lesquelles l'État romain était en butte à des difficultés particulières. Ce sont ces faiblesses du système oligarchique qui ont en fait permis aux chefs du parti populaire de tenter une politique de réformes. Par exemple Marius et Saturninus profitèrent de l'impuissance de la guerre contre Jugurtha en Afrique et de la conséquence de la guerre contre les Cimbres. La politique populaire eut son activité la plus intense quelques années plus tard, à un moment où la guerre sociale venait de se terminer et où en Orient Milthradate commençait son attaque contre les provinces romaines. L'affaiblissement de la constitution Syllanienne coïncida avec la révolte de Spartacus. Le régime oligarchique était donc encore solide à Rome et ne pouvait être attaqué que dans ses moments passagers de faiblesse. Ces corrélations ne peuvent cependant pas masquer que les divers conflits de la société romains pendant la fin de la République ne s'imbriquèrent pas immédiatement les uns dans les autres. Non seulement les révoltes d'esclaves n'obtinrent aucun soutien de la masse des prolétaires romains, mais, en sens inverse le parti populaire appela souvent au soutien des esclaves. Il ne pouvait non plus y avoir aucune alliance entre le parti populaire et les provinciaux qui luttaient contre la domination romaine. Il y eut cependant entre le parti populaire et les socii italiens des relations étroites. L'appui des réformes politiques et économiques en faveur des italiens fut toujours présent mais il est significatif que dans la guerre sociale, les optimates et le parti populaire luttèrent ensemble contre les rebelles italiens. Dès qu'un mouvement social ou politique voulait mettre en question la domination romaine il était uniformément rejeté par des divers groupes d'intérêts politique de Rome. Dans les grands conflits de la République, ce n'était pas les fronts sociaux d'oppresseurs et d'opprimés qui se trouvaient face à face, et les résultats de ces conflits ne consistèrent pas en un changement violent de l'ordre social.
C'est l'histoire des camps en lutte dans la longue série des conflits qui marque le mieux ces querelles. Appien a eut raison d'insister sur le fait que pour Tiberius il y avait d'un coté les riches propriétaires et de l'autre les pauvres. Mais dès cette époque il y avait d'une part des sénateurs du coté des pauvres et du coté des riches de simples citoyens tandis que les chevaliers se répartissaient dans les deux camps. Au plus tard dans la guerre entre Marius et Sylla, il ne s'agissait manifestement que de l'opposition de groupes d'intérêts politiques. Ainsi les représentants d'une seule et même couche défendirent de plus en plus souvent des positions politiques opposés. Il est d'abord significatif que non seulement le chef des optimates mais aussi ceux du parti populaires étaient toujours des sénateurs, ces derniers cherchant à réaliser leurs intérêts en luttant contre l'oligarchie. Leur origine et leurs motifs personnels pouvaient être très divers. Bon nombre parmi eux venaient de la haute noblesse comme les Gracques. D'autres tels que Marius, appartenaient au cercle longtemps désavantagé des homines novi et étaient des adversaires pleins de rancœur de la haute noblesse, certains étaient des escrocs d'autres avaient des dettes. Mais toutes ces différences ne changent rien au fait que les chefs du parti populaire aussi bien que les chefs des optimates venaient de la noblesse sénatoriale. Il y avait d'ailleurs d'autres sénateurs qui appuyaient la cause populaire. Dans les conflits politiques après Sylla, la position des sénateurs était encore plus instable (Sylla en avait fait tuer une centaine) et pendant les guerres civiles de la fin de la République, certains d'entre eux changèrent plus d'une fois d'attitude. Très peu de sénateurs purent garder une voie politique aussi droite de Marius Porcius Caton le jeune qui fut toujours un partisan des idéaux républicains.
D'autres couches sociales ne se comportèrent pas non plus de manière uniforme dans les conflits de la fin de la République. Les chevaliers appuyèrent les uns Tiberius puis certains furent mobilisés contre le sénat Pais Caius mais ça ne les empêcha pas de participer à la ruine du mouvement des Gracques en 121. Par la suite, il y eut des éternels conflits entre eux et les sénateurs mais c'est l'union des sénateurs et des chevaliers que Cicéron évoque comme fondement de la République romaine. On voit bien que la position des chevaliers pouvait différer car Sylla en fit exécuter 1600 mais en mit 300 nouveaux au sénat. Les masses du prolétariat urbain étaient difficiles à manipuler par une agitation démagogique et par des largesses, ce dont le parti populaire fit bon usage. Les optimates pouvaient utiliser les mêmes moyens pour mobiliser les masses en leur faveur, et la force propre de la dictature de Sylla reposait sur le loyalisme de 10000 Cornelii qui étaient ses affranchis et représentaient des intérêts, surtout dans la plèbe romaine. Les vétérans appuyaient toujours leurs anciens généraux, qui les avaient conduits à la victoire et qui leur avait assuré la possession de la terre. Depuis Marius et Sylla, ils formaient avec l'armée active l'épine dorsale des mouvements politiques qui entouraient les diverses personnalités dirigeantes. A quel degré pouvait être hétérogène la composition sociale d'un groupe d'intérêts politiques surtout dans les conflits de la République depuis Marius et Sylla. Cela se révéla lors de la conjuration de Catilina qui était un homme raté de la noblesse mais qui était soutenu par la noblesse, des chevaliers, des membres supérieures des couches italiennes des artisans des affranchis et des esclaves.
La structure des fronts de la société romaine pendant la période finale de la République changea, de même que se modifia l'objet des oppositions. Tiberius chercha à réaliser avec des moyens politiques une réforme sociale en faveur des paysans pauvres et des prolétaires. Son frère continua à s'assigner ce but mais il introduisit dans le conflit les chevaliers et les alliés. Les motivations sociales, principalement l'attribution de terres aux pauvres et aux vétérans, depuis Marius, par une nouvelle répartition de la propriété foncière, continuèrent à jouer un rôle dans le programme du parti populaire mais ce qui fut le tournant décisif ce fut le partage du pouvoir et les problèmes de la constitution. La question agraire et l'autre grand problème sociopolitique de la politique c'est à dire la frumentatio ou distribution des vivres aux masses de Rome ne servirent plus que de prétexte dans la lutte que des hommes politiques ambitieux engageaient pour le pouvoir dans l'État. Même la manière de régler les conflits entre les groupes d'intérêts révèle le passage d'un mouvement sociopolitique à une pure lutte pour le pouvoir politique. Les actes de violence s'accomplirent corrélativement grâce à la démagogie, à la violation de la constitution, à des scènes de tumulte, à des meurtres politiques et par l'anéantissement brutal des adversaires politiques vaincus.
Ces méthodes d'opposition furent encore utilisées plus tard surtout dans les conflits de la fin des années 50 av JC qui préparaient la guerre civile entre César et Pompée. Mais depuis les années 80 les méthodes de combat ont beaucoup changée. Le parti populaire mobilisait des armées pour ses objectifs et instaurait à Rome un régime politique rigoureux. Mais il n'était pas le seul à recourir à une nouvelle forme de violence, la réaction oligarchique y avait aussi sa part. Mais ce qui fut le plus nouveau ce fut les guerres civiles entre Marius et Sylla, Pompé et César... Dans ces guerres des armées régulières s'opposaient, les actions guerrières affectaient tous l'Empire, les adversaires politiques étaient massacrés dans des batailles meurtrières. Dans ces guerres brutales pour le pouvoir il ne pouvait plus être question d'un mouvement de réformes social et leur conséquences ne touchèrent pas l'organisation sociale de Rome mais son organisation politique
Conformément à la structure des conflits de la fin de la République et à la nature du changement qui s'accomplit dans la société romaine, le système social, pendant cette centaine d'années, ne changea pas fondamentalement. Les fondements économiques du système social restaient en gros les mêmes que depuis l'époque de la deuxième guerre punique. La vie économique continuait à reposer principalement sur la production agraire, qui était pratiquée dans les grands domaines mais aussi sur les besoins des plus petits colons paysans et sur les parcelles de paysans pauvres. Mais comme avant l'économie rurale n'était qu'une partie du système économique, dans lequel la production artisanale jouait un rôle important. L'expansion qui assurait les possibilités d'épanouissement ultérieur pour ce système économique, se prolongea par la soumission de la Syrie, de la Gaule et par la soumission d'une autre partie de l'Espagne. La stratification sociale se modifia à peine. Sans doute les diverses couches sociales furent touchées, certaines connurent un essor considérable et leur ordonnance a partiellement fort changé. Mais il n'y a pas eut l'apparition de couches tout à fait nouvelles et aucune de celles qui s'étaient formées antérieurement ne disparut. Le modèle d'une société dominé par des couches supérieures numériquement faible resta en gros intact. Il ne se développa non plus aucune idéologie pour maintenir la société. Le mos maiorum n'était plus, depuis longtemps, un système unique de référence pour l'aristocratie sénatoriale, mais la plupart des théoriciens de l'époque regrettaient profondément la chute de ce système. Ce qui était complètement détruit c'était les liens qui avaient été capables jusque-là de maintenir la société romaine en un système politique, c'est à dire la République de l'État avec ses institutions.
Les critères qui déterminaient les diverses positions dans la société et donc la stratification sociale étaient à la fin de la République de nature très différents de la stratification sociale des guerres puniques. Ils formaient un système compliqué, où ont continué à intervenir l'origine sociale, les ambitions et les capacités personnelles, les possession de la fortune, le droit de cité, la liberté ou la servitude personnelle.... Les facteurs donnés en premier donnaient aux individus la dignitas (Rang et honneurs) qui étaient nécessaires pour améliorer la position sociale. Le seul élément nouveau était que ces facteurs pouvaient agir sous une autre forme et dans une autre mesure que à l'apogée de la République aristocratique. Celui qui provenait d'une famille noble possédait d'entrée de jeu, par le prestige, les relations et souvent aussi les terres et la fortune héritée, un privilège pour l'initiative politique. Même s'il était endetté, il ne pouvait être suspendu de ses droits politiques. Entre 43 et 33, ces hommes nouveaux commencent à s'imposer avec 18 consuls en 11 ans.
En premier lieu il existait la possibilité que des personnes habiles et sans scrupule pussent amasser en peu de temps des richesses incroyables. C'est du aux gains des affaires et à l'expansion mais aussi aux bouleversement politique, et, comme Pour Marius, a l'extermination de familles et a la confiscation de gigantesques fortunes (Sylla devint l'homme le plus riche de son temps). Ainsi la norme de richesse était tout autre que par exemple au temps des Scipions. La seule partie de l'héritage de Pompée que son fils put conserver était 17;000.000 de deniers. Un simple sénateur romain qui atteignait tout juste le cens de son ordo ne pouvait pas comparer sa fortune à de telles richesses et Cicéron qui possédait plusieurs villas n'étaient pas au nombres des plus riches citoyens. Évidemment, il n'y avait pas seulement de riches sénateurs, mais aussi de riches chevaliers tel Atticus. Ce dernier, qui tira ses bénéfices de la vente de terres en Italie, de la location des maisons de Rome était considéré comme un homme d'affaires aussi habile que modéré. Même les affranchis avaient la possibilité d'acquérir de l'influence politique et de la puissance non seulement par leur argent, mais aussi par leurs bonnes relations avec de puissants patroni.
Ce n'était pas une nouveauté pour la société romaine que propriété foncière et argent donnassent la puissance politique et l'influence. Ce qui était nouveau, c'était l'accroissement des prétentions à obtenir la fortune et la puissance et l'influence. L'expérience politique, la capacité d'établir de bons contacts avec les masses et les qualités d'homme de guerre pouvaient ouvrir l'accès à des carrières exceptionnelles. La possession du droit permettait d'être bénéficiaire des largesses, d'être politiquement courtisé, d'entrer à l'armée et d'y recevoir solde et butin, d'être gratifié de terres comme vétéran ou comme prolétaire. Mais la simple liberté personnelle d'un provincial par ailleurs dépourvu de droits pouvait avoir plus de signification qu'auparavant, puisque du moins les membres des couches supérieures des provinces avaient plus d'espoir qu'antérieurement d'obtenir le droit de la cité.
Dans les périodes de conflits ouverts, fortune et position dominante s'acquéraient fort vite mais se perdaient plus vite encore. A la suite des pertes en homme pendant les guerres civiles, la plupart des couches sociales furent décimées. De très nombreux sénateurs furent les victimes des guerres civiles et des proscriptions, et des homines novi provenant de l'ordre équestre étaient de plus en plus nombreux. L'ordre équestre rien que sous Sylla perdit 1600 membres et encore 2000 en –43. Parmi les nouveaux chevaliers il y avait une proportion croissante des hommes de provinces. La composition de la couche supérieure des villes italiennes avait fortement évoluée. La raison principale était l'établissement de vétérans. Les anciens soldats formaient la couche supérieure de ces villes. Il était aussi fréquent que des affranchis prennent une place importante dans les municipes. Des prolétaires de Rome furent aussi souvent installés dans des colonies. Sous César le nombre de pauvres qui bénéficiaient du blé est passé de 320.000 à 150.000 mais cette couche se renouvelait tout le temps avec les affranchissements de masses de la fin des années de la République. A cela s'ajoutait d'autres sources d'approvisionnement en esclaves (piraterie).
Ainsi la société romaine de la fin de la République était constamment en mouvement, dans la mesure où la composition de ces couches changeait continuellement. La principale conséquence de ces changements fut de constituer un fondement qui conduisait à intégrer la société dans un système social plus ou moins unitaire et qui entraînait la formation d'une couche supérieure constituée partout selon les critères uniformes. Les Italiens furent complètement absorbés par le système romain.
Les nouveaux citoyens des provinces pouvaient accéder à l'ordre équestre et même dans certains cas au Sénat, à condition de satisfaire les exigences économiques et de s'être rendu utile à la cause d'un homme politique. Mais cette évolution s'accomplit en général dans le cadre de la stratification de la société qui s'était réalisé dès le 2ème siècle. Elle ne mena pas à un système social nouveau. La situation de l'aristocratie sénatoriale avait changé et son prestige avait beaucoup décliné mais ça ne changeait rien au fait que le pouvoir politique et économique était entre leurs mains. Les couches dirigeantes de la société romaine étaient réunies dans deux organisations corporatives (Sénat et postes de commande). Dans les élites locales était groupé le corps urbain des riches citoyens terriens qui prit la citoyenneté et qui fut complété par la couche supérieure des colonies de province. En dessous de ces couches il y avait dans les villes, des affranchis riches ou pauvres, des artisans, des marchands, des prolétaires et des esclaves et dans les campagnes des paysans. Tout bien considéré c'est un modèle social qui ne différait pas beaucoup du 2ème siècle.
Certes, ce système fut, pendant toute la fin de la République, plein de tensions qui conduisirent à chaque fois à des conflits ouverts et où seuls quelques problèmes sociaux furent résolus : question italienne après une guerre sanglante, l'oppression des provinciaux diminua et les esclaves furent mieux traités. Mais l'abîme entre les profiteurs de la domination romaine (Caton) et les opprimés ne fut qu'un peu rétréci mais nullement comblé. Pour la question agraire et l'octroi de terres aux prolétaires, une solution était donné par la colonisation et par la nouvelle répartition des terres en Italie. Au lieu d'une vraie solution aux oppositions chevaliers et sénateurs, les conflits aboutirent à des carnages répétés. La fin de la République ne put maîtriser la crise ni par des réformes ni par une révolution sociale mais elle ne sut qu'éviter de traiter des problèmes profonds et qu'en laisser la solution définitive à un nouveau système politique.
Cette impuissance ne résidait pas dans le fait que la société romaine de la fin de la République n'était pas en mesure de découvrir des idéaux capables d'aider à résoudre ses conflits. L'horizon idéologique et moral du mos maiorum est perdu pour l'essentiel (déclin des anciennes vertus). Les causes véritables de la crise consistent dans l'insuffisance d'une constitution d'État cité et dans le changement des relations sociales depuis la deuxième guerre punique. Mais on voit aussi que la République n'a pas été capable de remplacer le mos maiorum par un nouveau système idéologique et moral malgré de grands esprits comme Cicéron.
Ce qui se perdit complètement et définitivement dans les conflits de la fin de la République était le système politique traditionnel de la société romaine. Les affrontements politiques et militaires entre les groupes d'intérêts du corps des citoyens romains ont désorganisé le régime républicain qui se fondait sur la collaboration des magistrats et de l'assemblée du peuple sous l'autorité dirigeante du sénat, c'est à dire l'oligarchie. C'est donc vers la monarchie que l'on se dirige depuis les premiers conflits, et les oppositions depuis les Gracques offraient des occasions pour les nobles de se mettre à la tête de masses mécontentes contre le régime oligarchique Les victoires extérieures furent l'occasion d'exercer l'armée, de donner du butin aux soldats, d'accroître la dignitas du chef et de cette façon leur puissance s'accrut et l'avenir appartenait à celui d'entre eux qui serait plus fort que tous ses rivaux vers le chemin du pouvoir personnel. La monarchie d'Auguste qui naquit de la sorte, donna finalement à la société romaine le cadre politique et aussi l'orientation spirituelle qu'elle avait si longtemps cherché en vain.